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Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a parlé, concernant le suivi de l’auteur de l’attentat de Paris, d’un « ratage psychiatrique ». Quelle difficulté pose la prise en compte des individus présentant des troubles psychiques ?
Parmi les 5 200 objectifs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste et suivis par la DGSI, 20 % présentent un trouble psychique documenté. Et sur les douze attentats que la France a connus depuis fin 2018, sept auteurs présentaient des troubles soit psychiatriques, dans un nombre restreint de cas, soit psychologiques. On ne peut pas faire comme si cette réalité n’existait pas.
Un attentat est toujours le résultat de deux composantes : une idéologie mortifère et un auteur qui, pour des raisons complexes et personnelles, se montre réceptif à cette propagande.
Prévenir une dérive violente lorsqu’il existe un trouble de la santé mentale, c’est donc à la fois, bien sûr, le travail des services de renseignement, mais ça doit aussi être celui des professionnels de santé qui peuvent contribuer à limiter les risques de passage à l’acte.
Ce type d’individus peut en effet alterner des phases d’apaisement et d’agitation qui rendent le suivi policier particulièrement complexe. Ils peuvent se montrer très sensibles à une influence extérieure, à un événement de leur vie ou à un élément d’actualité. Nous ne sommes ni psychiatres ni psychologues, et il est parfois difficile pour nous d’apprécier leurs comportements.
C’est la raison pour laquelle la DGSI a décidé, il y a deux ans, de structurer un dialogue respectueux avec les représentants de la profession et d’intégrer en son sein deux psychiatres qui nous aident à procéder à des examens de situation. Les préfets ont aussi été invités à s’attacher les services d’un médecin pour faire en sorte que ceux qui en ont besoin puissent accéder à des soins.
Gérald Darmanin a justement proposé que les préfets puissent ordonner des « injonctions administratives » de soins…
C’est un des enjeux identifiés : comment faire en sorte qu’un individu qui semble devoir bénéficier a minima d’un diagnostic médical puisse voir un médecin ? Le droit prévoit un dispositif d’hospitalisation sous contrainte, mais qui demande soit l’intervention d’un tiers proche, soit celle du préfet ou du maire, et qui est alors conditionné à un trouble objectif à l’ordre public.
La difficulté survient quand on pressent une fragilité psychique qui ne se caractérise pas par un état de crise, comme c’était le cas pour l’auteur de l’attentat de samedi. La proposition portée par le ministre vise à mettre en place un système qui permette d’obliger ces personnes à se soumettre à un examen médical, à charge ensuite aux médecins de poser un diagnostic. Sur le plan opérationnel, ce serait une vraie plus-value pour les services de renseignement.
L’auteur de l’attentat de samedi a évoqué la situation au Proche-Orient dans sa revendication. Comment analysez-vous l’impact de ce conflit ?
Indéniablement, ce conflit a des conséquences directes sur la menace en France.
D’abord parce que les grandes organisations terroristes, Al-Qaida et l’Etat islamique, ont appelé à travers plusieurs dizaines de communiqués à une réaction de solidarité à l’égard des « frères palestiniens ».
Dans le cas de l’Etat islamique, qui a une aversion pour les causes nationalistes comme celle du Hamas, si la réaction a pris plus de temps et revêt un caractère opportuniste, elle n’en produit pas moins ses effets.
Dans le même temps, il fleurit une série de discours irresponsables, qui tendent à présenter la France comme « complice inconditionnelle » d'Israël dans son « entreprise de génocide du peuple palestinien ».
Ces discours ont comme conséquence, de manière évidemment plus insidieuse, de désigner la France comme cible légitime pour toutes celles et ceux qui ont une lecture essentialiste ou religieuse de ce conflit.
Incluez-vous parmi ces discours des prises de parole politiques ?
J’inclus des prises de paroles de toute nature...
Quelles sont les grandes tendances de l’évolution de la menace terroriste en lien avec des théâtres extérieurs ?
3 zones retiennent notre attention.
D’abord la zone sahélienne et africaine. A court terme, les organisations terroristes qui y sont présentes sont engagées dans un agenda local. Mais si ces groupes devaient de nouveau conquérir des emprises territoriales, cela pourrait accroître leur attractivité et donner lieu à la création de filières qui, pour l’heure, n’existent pas.
Vient ensuite le théâtre syro-irakien, où l’Etat islamique conserve une résilience préoccupante et, enfin, le théâtre afghan, où le nombre de combattants de l’EI a presque décuplé depuis deux années.
Le phénomène auquel on assiste depuis un an est moins un risque de projection de la menace – au sens où on l’entendait en 2015 avec des opérationnels qui quitteraient la zone pour venir nous frapper – qu’une activation à distance de sympathisants depuis une zone de djihad.
3 exemples récents illustrent cette nouvelle forme de menace : le premier a été entravé par la DGSI en novembre 2022 à Strasbourg, avec l’interpellation d’un ressortissant tadjik et d’un Tchétchène dont tout laisse à penser qu’ils ont été activés par des opérationnels de l’EI en Afghanistan pour frapper la France, ce qui serait une première. Pendant l’été, des partenaires européens ont également interpellé des individus présentant le même profil. Enfin, la police suédoise a arrêté des individus en lien direct avec l’EI en Syrie.
Vous l’évoquiez plus haut, plusieurs projets d’attentats récents ont frappé les esprits par le jeune âge de leurs auteurs. Comment expliquer cette tendance ?
Les 3 projets d’attentat déjoués par la DGSI en 2023 impliquaient des individus qui avaient tous moins de 20 ans. Le plus jeune avait 13 ans. Deux autres avaient 14 ans. Dans plusieurs de ces affaires – parfois traitées avec nos partenaires européens, parce que ce phénomène n’est pas que français, il est européen –, ces jeunes velléitaires ne fréquentaient pas de mosquées ni des lieux de socialisation : ils se structuraient en ligne, sur les réseaux sociaux, à travers un enfermement idéologique et numérique très préoccupant.
Notre analyse, c’est que l’attrait pour l’idéologie djihadiste a significativement diminué du fait de la déroute de l’EI dans les années 2017-2018, notamment auprès des générations qui s’étaient engagées au début des années 2010. Mais la propagande de l’EI revient aujourd’hui séduire une nouvelle génération d’adolescents qui, pour des raisons diverses – une quête identitaire, l’écho d’un discours de victimisation, une glorification de pulsions violentes qu’ils peuvent nourrir par ailleurs – se montre de nouveau sensible à cette idéologie mortifère.
Signe de cette tendance : pendant quasiment trois ans, aucun auteur d’attentats commis en France ne s’était revendiqué de l’EI. Or, lors des trois dernières attaques perpétrées en Europe, que ce soit à Bruxelles, Arras ou Paris, l’auteur s’est revendiqué de ce groupe. L’idéologie djihadiste n’est pas morte, et l’Etat islamique bénéficie d’un attrait nouveau au sein de ces jeunes générations.