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Non, la Seine n’est toujours pas baignable (même si Anne Hidalgo y plonge)

17 juillet 2024 | Par Jade Lindgaard

À coups de mises en scène et de « storytelling », les autorités fabriquent l’histoire d’un fleuve parisien libéré de la pollution et accessible aux baigneurs. Mais un écosystème ne se transforme pas d’un coup de baguette, même olympique.

Plonger le corps d’une ministre, d’une maire, d’un préfet ou du président de Paris 2024 dans la Seine suffit-il à rendre le fleuve baignable ?

Difficile de ne pas se poser la question à la vue des images d’Anne Hidalgo et de Tony Estanguet jouant à nager dans les eaux parisiennes mercredi 17 juillet, après celles de la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra le 13 juillet. Car ni les critères réglementaires ni les conditions démocratiques ne sont réunis pour en assurer la baignabilité.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, s’est baignée dans la Seine mercredi 17 juillet 2024. © Abdullah Firas / Abaca

Lorsque que l’on consulte la carte officielle des lieux de baignade en France, aucun site de la Seine n’y figure à Paris – seuls sont répertoriés le canal Saint-Martin et le bassin de la Villette, dont l’eau vient du canal de l’Ourcq.

Et pour cause : à l’intérieur de la capitale, le fleuve ne respecte pas les conditions pour y être répertorié. Première exigence : présenter une qualité suffisante sur quatre « saisons balnéaires », c’est-à-dire quatre ans. C’est ce que demande la directive européenne de 2006 sur les eaux de baignade.

Deuxième condition : l’information du public sur les taux de pollution biologique mesurant les concentrations en bactéries fécales Escherichia coli et entérocoques intestinaux, désormais célèbres.

Depuis le 3 juin, la mairie de Paris publie chaque semaine sur son site des résultats de prélèvements en quatre points. Mais la règle, c’est de les publier tous les jours et sur les lieux de baignade pendant la saison estivale, explique Christophe Le Visage, vice-président de l’association Eau et Rivières de Bretagne, qui connaît bien la réglementation européenne. Il faut aussi présenter les classements des années précédentes, ainsi qu’informer en détail sur les risques que la pollution du lieu représente pour les baigneuses et baigneurs – les matières fécales ne sont pas les seuls éléments pathogènes présents dans le fleuve.

Les autorités françaises utilisent les valeurs de référence proposées par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui a fixé des seuils au-delà desquels la baignade ne devrait pas être autorisée : 1 800 unités formant colonie (UFC) d’Escherichia coli pour 100 millilitres d’eau et 660 pour les entérocoques intestinaux, en eau douce.

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Ces seuils sont utilisés pour évaluer la baignabilité « instantanée », à un moment donné, mais ne permettent pas de savoir si désormais et en général il est sain de se baigner dans la Seine. L’hydrologue Jean-Marie Mouchel avait déjà expliqué à Mediapart qu’« on ferait bien d’être un petit peu prudents » parce que « les variabilités hydrologique et météorologique ne permettent pas de décider sur la base d’une année de données ». D’autant plus que « les moments et les endroits où on prélève ne sont pas neutres », rappelle l’hydrologue Michel Poulin.

On peut sonder à côté d’une nappe de pollution et ne pas la détecter. Le plan de dépollution de la Seine lancé en 2016 (1,4 milliard d’euros, financé à parité entre l’État et les collectivités) va dans le bon sens et permet d’améliorer la qualité des eaux, selon ces spécialistes.

Si la directive de 2006 propose des critères pour évaluer si la qualité de l’eau est « excellente », « bonne » ou « suffisante », elle ne se risque pas à définir ce qui rend un eau baignable. Et laisse donc chaque État décider de l’ouverture ou non à la baignade de ses plages et points d’eau.

Cette ambiguïté réglementaire permet aux autorités françaises de se glisser dans le chas d’une aiguille et de claironner que, désormais, il est possible de se plonger dans la Seine. Mais sur la base de quelles normes sanitaires ? À quels endroits exactement ? Pour combien de temps ? Et quand la ville de Paris décrète la Seine baignable, est-ce au sens de la directive européenne ? Ou en fonction d’autres critères – en ce cas, lesquels ? La mairie n’a pas répondu à nos questions sur ce sujet.

De son côté, la préfecture de région explique que la directive sur la baignade ne s’applique pas à la Seine pour cette année 2024, et que le préfet de département dispose d’un pouvoir de police de la navigation . Il « peut tenir compte de la qualité de l’eau dans sa décision d’autorisation de la manifestation » mais « c’est in fine l’organisateur qui décide lui-même le jour de la manifestation si les conditions sont réunies pour que celle-ci ait lieu ». Bref, les autorités agissent comme bon leur semble.

Opacité à Paris, transparence à Berlin

La décision de baignabilité sera donc prise de façon unilatérale par les autorités, sur un fond d’opacité totale concernant les mesures (les chiffres de janvier à juin 2024 ne sont toujours pas publics), leur interprétation, et leurs implications sanitaires. Un passage en force qui ressemble à un caprice de souverain : il avait été décidé en 2015, au moment de la candidature de Paris aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, que la Seine devait être baignable pour l’événement. Il fallait donc que cela soit.

Pourtant, dans une ville qui ressemble à Paris et se trouve dans un pays en de nombreux points comparables, les choses se passent différemment. À Berlin, un plan de développement urbain vise depuis 2019 à transformer la Sprée, fleuve qui traverse la ville, en « ligne de vie écologique urbaine », expliquent les chercheuses Gaëlle Rouillé-Kielo et Gabrielle Bouleau.

Après un siècle d’interdiction (la baignade dans la Seine est officiellement interdite par l’État depuis 1923), il faut réapprendre à s’y baigner.

On se baigne déjà dans la capitale allemande, mais dans des lacs et des cours d’eau, et pas encore dans les bras du fleuve. Portée historiquement par des associations et des habitant·es, l’ouverture de points de baignade dans le fleuve berlinois « est appréhendée comme un symbole de reconquête citoyenne de l’eau en ville », expliquent les chercheuses, qui y voient même une illustration du « dynamisme des mouvements écologistes et l’aboutissement plus courant de leurs revendications en Allemagne, comparativement à la France ».

Cette démocratie fluviale a bien des vertus : plus de transparence sur les données, une discussion de meilleure qualité permettant la confrontation des arguments. Mais aussi la création d’une culture du fleuve. Car après un siècle d’interdiction (la baignade dans la Seine est officiellement interdite par l’État depuis 1923), il faut réapprendre à s’y baigner : quel débit est dangereux, quel niveau de turbidité - l'aspect trouble de l'eau - est acceptable, quels moyens de surveillance humains sont nécessaires, de quels points peut-on sauter dans l’eau sans risquer sa vie ?

Le président d’une association écologiste impliquée dans le projet de baignabilité à Berlin, Hubert Weiger, espère que, grâce à cela, « on verra la rivière d’un œil nouveau, et plus seulement comme un filet d’eau sans vie, encastré dans du béton. Si je sais que la rivière n’est pas uniquement un exutoire pour nos excréments, alors je me soucierai bien sûr tout autrement de l’eau ».

Recréer une culture du loisir fluvial est un beau projet. Mais il ne se décrète pas à coups d’oukases olympiques.